Le Mystère de la rue Rousselet, comédie en un acte mêlée de couplets.

Rue Rousselet, Paris, 7e arrondissement, un appartement garni… Où se cache le mystère  ? Nazaire, domestique et musicien contrarié, ne doit parler à personne et n’a pas le droit de faire les courses, ni la cuisine, ni le ménage. Guérineau, le nouveau locataire, se fait appeler Duplantoir. Agathe, sa nièce que l’on prend pour sa femme, détient une lettre compromettante. Le voisin Georges Lafurette, insomniaque, enquête, soupçonne et imagine les pires crimes. Léon Darvel, le mari, fait passer sa maîtresse pour sa marraine…

 

Que se cache-t-il dans la chambre aux volets clos ?

 

La censure du second Empire était si scrupuleuse que l'évocation même d'une gêne sexuelle pouvait être sanctionnée[1]. Mieux valait vider les malles de tout contenu, et écrire que dans telle chambre il n'y a rien, ou que des fruits, plutôt que de risquer l'interdiction. Et pourtant, si ce rien cachait autre chose, ce dont Labiche ne pouvait absolument pas parler, ce que tous étaient tenus d'oublier  ?

À l’époque, les robes et roses blanches des fiancées font oublier le sang du viol de la première nuit de noce ; et les artères brillantes et rénovées des villes, les massacres répétés et un coup d'État. Toute jeune fille de bonne famille est contrainte à la pureté pour son mariage, elle reste aussi pure que tout homme à marier est un maître qui sait régler l'extraction « du plus pur de son sang »[2] mais qui a tous les droits.

De la même manière, la société française est invitée à un exercice d'amnésie, à un constant soin d'hygiène et de purification collective pour se sacrifier, toujours après une nuit de violence et de sang, aux gouvernements qui se bousculent: Bonaparte, Louis XVIII, Charles X, Louis Philippe, la République, Napoléon III, la République.

 

Que peut-il se cacher derrière les volets de cette chambre close dans le silence ?

 

En Haïti vers 1803  : rétablissement de l'esclavage, 22.000 soldats  sont envoyés par Napoléon.

En Espagne, sous la restauration de Louis XVIII, les troupes françaises massacrent les Cortés, les réformateurs espagnols, après avoir bombardé Cadix et rétablis par la force le régime despotique et rétrograde de Ferdinand (1822).

Au même moment, à Paris, l'abattage des bêtes est refoulé à la périphérie de la ville, le transport de la charogne se fait désormais dans des voitures fermées.

En 1830, la conquête d'Alger est décidée sous Charles X. Les militaires y apprennent à « ne faire aucun quartier »[3], reprenant à leur compte les manières de l'armée turque.

En 1831, massacre des ouvriers du textile de Lyon en grève[4] : près de 200 morts une 1ère fois, 300 la semaine qui suit le procès (1834), suivie du massacre des habitants d'un immeuble de la rue Transnonain (actuelle rue Beaubourg)[5] à Paris.

Le paisible gouvernement de Louis Philippe déplace au même moment la guillotine  de la place de l'Hôtel de Ville à la discrète barrière Saint Jacques.

Le 26 juin 1848 à midi, répression systématique d'une émeute pour la faim  : 12.000 prisonniers, 3.000 morts, 4.000 ouvriers déportés aux colonies sans jugement.

La République décide d'abandonner l'exposition des coupables, la loi Grammont de 1850 interdit l'exhibition publique de la cruauté envers les animaux domestiques.

 

 

 

Est-ce le coup d'État de Napoléon III (1851) qui provoque la mort de 200 jeunes bourgeois attablés aux terrasses des cafés (ils avaient crié « vive la République ») et des massacres dans la Nièvre, l'Hérault, le Var et les Basses-Alpes. « Il fallait, sous peine de défaite honteuse et de guerre civile, non pas seulement prévenir, mais épouvanter.»[6], « On doit leur courir sus comme à des bêtes fauves. »[7] À Paris, « une sorte de terreur muette a glissé jusqu'aux os de plus petits et des plus grands. »[8] La morgue, dernier lieu public où les corps sont exposés, attire de plus en plus.

 

Trois années avant qu'Eugène Labiche rédige Le Mystère de la rue Rousselet[9], une tentative d'assassinat de l'Empereur entraîne une série de mesures répressives. Le général Espinasse, ministre de l'Intérieur et de la Sûreté nationale ordonne à chaque préfet de faire arrêter dans son département un nombre arbitraire de suspects « Il est temps que les bons se rassurent et que les méchants tremblent », 430 victimes sont déportées en Algérie. Les razzias, les amendes de guerre, le choléra, le typhus et la famine décime 300.000 Algériens. Le public se passionne alors pour les faits divers sanglants, la gazette des tribunaux titre : « faut-il tuer l'amant ? Tueriez-vous ? Tueriez-vous votre femme ? Les tueriez-vous tous les deux ? »

 

Été 1862, le baron Hausmann annonce la démolition des théâtres et cabarets du Boulevard du Crime.

La réorganisation de la ville éloigne en périphérie le public populaire, au profit de bâtiments au goût bourgeois, placés au centre du quadrillage des avenues.

Suit l'intervention française au Mexique contre le gouvernement libéral de Benitó Juarez.

L'abattage à la mitrailleuse par groupe de 150 ou 300 individus, rue de Charonne, des « communeux » de 1870, la politique coloniale défendue par Jules Ferry[10].

 

L'affaire Dreyfus en 1894.

 

Olivier Schneider

Avec l’aimable collaboration de Joël Huthwohl, octobre 2004

 

 

 

Sources : Alain Corbin, Le temps, le désir et l'horreur, Aubier 1991. Laure Adler,  Secrets d'Alcôve : histoire du couple, 1830-1930, Bruxelles, éd. Complexe, 1990. Séduction et sociétés, Paris, Seuil, 2001. Catherine Naugrette-Christophe, Paris sous le Second empire, le théâtre et la ville, essai de topographie théâtrâle, Paris, Librairie Théâtrale, 1998.

 

 

 

 

 

 

 

 

Extrait de Secrets d’alcôve de Laure Adler

« l’adultère »

 

[…]

Le moraliste Cadémartori le note  : dès les années 1860, l’opinion publique se passionne pour les drames de la jalousie. Bien souvent elle prend fait et cause pour les criminels ayant tué pour venger leur honneur. Chaque matin, tranquillement assis à la table de votre déjeuner, vous pouvez assister à ces drames de l’adultère dans les comptes rendus de La Gazette des Tribunaux et dans les faits divers des canards, dira Paul Bourget en 1890. (…)

Une question agite les cerveaux de tous ces messieurs : l’adultère de la femme est-il plus grave que celui de l’homme  ?  Devant le tribunal, l’application de la peine diffère selon le sexe  : emprisonnement pour la femme adultère, amende pour le mari volage. Mais, dès les années 1860, l’opinion publique enhardit les femmes adultères en excusant ce que la loi doit punir. On soutient la coupable et on raille ce marie ridicule qui a osé dénoncer sa femme devant un tribunal. Cadémartori s’indigne, en 1866, de ce que plusieurs condamnations à l’emprisonnement, prononcées contre des femmes adultères, n’aient toujours pas reçu leur exécution. Le nombre de femmes adultères augmentant de jour en jour, on ne peut plus reconnaître une épouse honnête et fidèle d’une femme corrompue… Il n’y a guère que ceux qui se savent trompés qui sont sûrs de ne pas l’être… ajoute notre moraliste défenseur des maris cocus.

Et pourtant les peines de prison sont encore effectives dans les années 1880. De quinze jours à quatre mois pour la femme adultère, autant pour l’amant qui doit, en plus, payer une amende, le mari volage étant condamné, ainsi que sa maîtresse, à une amende de deux cents francs. Petit à petit, le tarif baissera et on s’acheminera vers la suppression de toute sanction pénale de l’adultère. En  1905, Jules Courrière écrit dans l’austère Revue pénitentiaire que le moment est enfin venu de reléguer l’infidélité conjugale dans la modeste catégorie des délits civils et qu’il faut définitivement renoncer, en cette délicate matière, à toute sanction autre qu’une séparation privée.

[…]

 

Secrets d’alcôve, histoire du couple de 1830 à 1930 de Laure Adler

Hachette, Paris, 1983

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Extrait de « Note sur la monomanie-homicide »  par le Dr Esquirol

 

[…]

Les monomaniaques-homicides sont isolés, sans complices qui puissent les exciter par leurs conseils ou leurs exemples. Les criminels ont des camarades d’immoralité, de débauche, et ont ordinairement des complices.

Le criminel  a toujours un motif  ; le meurtre n’est pour lui qu’un moyen  ; c’est pour satisfaire une passion plus ou moins criminelle. Presque toujours l’homicide se complique d’un autre acte coupable  ; le contraire a lieu dans la monomanie-homicide.

Le criminel choisit ses victimes parmi les personnes qui peuvent faire obstacle à ses desseins ou qui pourraient déposer contre lui.

Le monomaniaque immole des êtres qui lui sont indifférents, ou qui ont le malheur de se rencontrer sous ses pas au moment où il est saisi par l’idée du meurtre  ; mais plus souvent il choisit ses victimes parmi les objets qui lui sont chers. Une mère tue son enfant et non l’enfant de l’étranger  ; un mari veut tuer sa femme, avec laquelle il a vécu dans la plus douce harmonie pendant vingt ans  ; une fille veut tuer sa mère qu’elle adore. Cette horrible préférence ne s’observe-t-elle pas chez les aliénés  ? n’est-elle pas une preuve évidente que ni la raison, ni le sentiment, ni la volonté n’ont dirigé le choix de la victime, et que par conséquent il y a eu perturbation des facultés qui président à nos déterminations.

A-t-il consommé le crime, le criminel se dérobe aux poursuites, se cache  ; est-il pris, il nie, il a recours à toutes les ruses possibles pour en imposer  ; s’il avoue son crime, c’est lorsqu’il est accablé sous le poids de la conviction, encore son aveu est-il accompagné de réticences  ; le plus souvent il nie jusqu’à l’instant de subir la peine, espérant jusque-là échapper au glaive de la loi.

Lorsque le monomaniaque a accompli son désir, il n’a plus rien dans la pensée  ; il a tué, tout est fini pur lui, le but est atteint. Après le meurtre, il est calme, il ne pense pas à se cacher. Quelquefois satisfait, il proclame ce qu’il vient de faire, et se rend chez le magistrat. Quelquefois, après la consommation du meurtre, il retrouve la raison, ses affections se réveillent  ; il se désespère, invoque la mort  ; il veut se la donner. S’il est livré à la justice, il est morose, sombre  ; il n’use ni de dissimulation  ni d’artifice  ; il révèle aussitôt avec calme et candeur les détails les plus secrets du meurtre.

[…]

 

 

Médecine légale relative aux aliénés et aux sourds-muets, J.-C. Hoffbauer,

éd. J.-B. Baillère, Paris, 1827


 

 

 

 

 

Mystère et rêve lucide

 

 

« Le somnambule a les yeux fermés et ne voit pas par les yeux, il n'entend point par les oreilles ; mais il voit et entend mieux que l'homme éveillé »[11]

 

 

Le siècle du matérialisme, de la révolution industrielle, est fasciné par l'état d'hypnose et par les rêves éveillés. Par simple suggestion, l'abbé Faria[12] (1755-1819) permet à ceux qui l'acceptent d'accéder à l'état de sommeil lucide, et de connaître une «extrême sensibilité», «si exquise que personne ne les touche sans leur causer des crispations, et même des convulsions s'ils ne sont pas prévenus du besoin d'être en contact avec eux»[13]. On est à une période qui annonce Freud et la psychanalyse, les savants se disputent encore au sujet de fluides animaux, de liquidité du sang, mais déjà l'abbé Faria observe que le phénomène somnambulique est un état où l'âme est libre, l'intuition du sujet «dévoile le présent, le passé et le futur»[14].

 

Le Marquis Hervey de Saint-Denys, né Marie-Jean-Léon Lecoq (1822-1892), publie en 1867 Des rêves et des moyens de les diriger chez Amiot[15]. C'est un curieux livre, que Freud recherchera[16], qu'André Breton adorera[17], où le Marquis, reconnu pour ses ouvrages sur la Chine, décrit la découverte de ses propres facultés à voir, comprendre, et diriger ses rêves. L'état de rêve lucide ne nécessite selon lui d'aucun «magnétiseur» ou autre «concentrateur» (selon le terme de l'abbé Faria), mais d'une attention régulière et constante. Dès l'âge de 14 ans, il prend l'habitude de «prendre pour sujet de (s)es croquis les souvenirs d'un rêve singulier qui (l)'avait vivement impressionné», «la représentation de chaque scène et de chaque figure fut accompagnée d'une glose explicative, relatant soigneusement les circonstances qui avaient amené ou suivi l'apparition.» Suite à cet exercice régulier, il s'aperçoit «qu'il ne (lui) arrive guère de (s)'abandonner aux illusions d'un songe sans retrouver, du moins par intervalles, le sentiment de la réalité». Étant lui-même l'objet de son expérimentation, il obtient la preuve de «la formation des clichés-souvenirs, à l'insu même de celui qui les recueille, et de la netteté des images que ces clichés peuvent reproduire, en songe, devant les yeux de notre esprit.»

 

 

 

 

 

S'ouvre alors la possibilité d'une maîtrise de ces «clichés» par la vue, la musique, les parfums.  À ce point de maîtrise des rêves, que devient la réalité, où se trouve la frontière qui nous sépare de nous-mêmes ? Après un rêve hors du monde terrestre, le Marquis note « Je souhaitai immédiatement de revenir sur la terre ; je me retrouvais dans ma chambre. J'eus un moment l'étrange illusion de regarder mon corps endormi, avant d'en reprendre possession. »

 

Et il conclut « La vie est un songe. A ceux pour qui c'est un songe pénible, elle laisse du moins l'heureuse pensée de se réveiller dans la mort. »

 

 

 

Olivier Schneider

Octobre 2004

 

 

 

 

 

 

 

Labiche à la Comédie-Française

 

« Avec ses portes qui s’ouvrent pour en fermer d’autres et ses armoires qui ne se ferment que pour s’ouvrir une fois l’époux parti, le vaudeville, tout en posant d’abord l’ordre civilisé, tend à lui substituer un désordre qui, sans trop rien casser, n’en atteste pas moins une fort désireuse hantise de secousses. »

Jacques Audiberti, Préface à l’Effet Glapion, Paris, Gallimard, 1959

 

 

Malgré ses succès incontestables sur les scènes du Gymnase, du Vaudeville ou du Palais-Royal, cela faisait longtemps qu’Eugène Labiche rêvait de voir son nom sur les prestigieuses affiches du Théâtre-Français. Au début des années 1860, fécondes en chefs-d’œuvre, l’administrateur Edouard Thierry lui fait savoir qu’il ne serait pas opposé à l’entrée au répertoire d’une de ses pièces. Avec son vieux complice Edouard Martin, Labiche s’attelle à ce qu’il considère comme une pièce digne de l’institution à laquelle elle est destinée.  Moi  !, comédie en 3 actes, ne sera pourtant reçue qu’en 1863, après avoir subi de nombreux élagages et même, in fine, quelques modifications dues à la plume experte et mesurée du sociétaire Philoclès Regnier, metteur en scène et protagoniste de la pièce. Honnête succès (42 représentations dans la première année, suivies de 2 en 1866) qui ne répond pas vraiment aux espérances de l’auteur. Reprise en 1930 dans une mise en scène de Charles Granval, la pièce n’a réellement repris toute son efficacité qu’en 1996, lorsque, à l’instigation du metteur en scène Jean-Louis Benoit, le manuscrit original et autographe, conservé dans les Collections de la Bibliothèque-Musée, a été sollicité. Une fois rétablie une partie du texte si durement sanctionné jadis, le public a pu goûter dans sa perfection la noirceur ingénue de l’incomparable duo d’égoïstes interprétés par Jacques Sereys et Yves Gasc. 

 

Labiche et Martin, dans la foulée, proposent en 1866, une seconde comédie, Les Fourmis. La lecture se révèle négative, au grand dam de Labiche, désormais privé de son collaborateur, qui meurt prématurément la même année. Ce n’est que dix ans plus tard, sous le mandat d’Emile Perrin, que La Cigale chez les fourmis, largement remaniée par Ernest Legouvé, collaborateur habituel de Scribe, fait son entrée au répertoire. Il faut dire que Perrin, habile à flairer le succès, a pris dès 1872 une option sur Le Voyage de Monsieur Perrichon, sans cependant passer à la représentation. Labiche, déçu, a beau lui écrire  : « J’ose encore espérer qu’un jour ma pièce sera jouée sur la scène du Théâtre-Français, j’aurais désiré qu’elle le fût de mon vivant, il paraît que je suis trop pressé », il faudra attendre 1906, dix-huit ans après la mort de l’auteur.

Labiche a déjà disparu – il meurt en 1888 – lorsque Les Petits Oiseaux (1890), puis Célimare le bien-aimé (1898) et La Grammaire (1902) entrent au répertoire. Après  Coquelin cadet, c’est Maurice de Féraudy, ineffable Perrichon qui, pendant plus de quinze ans, visitera la mer de glace avec sa petite famille. La grande nouveauté de mise en scène, en 1929, est que l’on s’avise enfin qu’il faut replacer M. Perrichon dans son contexte historique et le vêtir second Empire, habits cossus et crinolines.

 

 

 

 

Le Voyage de Monsieur Perrichon est la pièce de Labiche représentée le plus grand  nombre de fois à la Comédie-Française  : les mises en scène, les décorateurs et les interprètes se succèdent de vingt en vingt ans  : Jean Meyer, Dignimont et Denis d’Inès en 1946, Jacques Charon, André Levasseur et Louis Seigner en 1966, Jean Le Poulain, Jean-Denis Malclès et Le Poulain lui-même en 1982. 

 

Tandis que voyage toujours Perrichon, en 1938, entre au répertoire un autre chef-d’œuvre, Un chapeau de paille d’Italie. Cette fois c’est Gaston Baty, l’un des maîtres du Cartel, qui dirige le « cauchemar gai » orchestré par Labiche et son complice en vaudevilles Marc-Michel. Le peintre Louis Touchagues met en couleurs acides les marionnettes humaines lancées à la poursuite du fameux chapeau. Mise en scène « de répertoire », la farandole imaginée par Gaston Baty  sera menée jusqu’en 1958 sur le rythme effréné imposé par la musique d’André Cadou.  En 1986, dans un registre plus cauchemardesque encore, Bruno Bayen dirige la Troupe dans les méandres d’un décor labyrinthique de Michel Millecamps, sur une musique guillerette de Jean-Marie Sénia.

En 1940, André Brunot met en scène une des rares comédies écrites par Labiche seul, petit bijou de rosserie conjugale, jusqu’à l’absurde, 29° à l’ombre.  Sacha Guitry cisèle quelques couplets sur une musique de Louis Beydts, et l’on est obligé de débaptiser un des personnages, désigné par l’expression – qui fait mouche  !  : « l’ignoble Adolphe ».  En 1969, la comédie est reprise par Jean Piat, avec, notamment, Jacques Charon.

En 1941, Jean Meyer, dans la lignée de Gaston Baty, monte La Poudre aux yeux, satire efficace des bons bourgeois vaniteux mais sans méchanceté, qui sont la cible préférée de Labiche. Reprise en 1958 dans la même mise en scène, elle connaît deux nouvelles présentations, l’une en 1975, en même temps que Le Plus Heureux des trois, sous la houlette de Jacques Charon, qui disparaît quelques jours après la Première, et l’autre en 1987, dirigée par Pierre Mondy.

 

En 1958, nouvelle entrée au répertoire. Jean Meyer met en scène, dans une « débauche de couleurs fondantes et d’étoffes chatoyantes » (G. Lerminier, le Parisien libéré, 13 novembre 1958), due au très parisien Dignimont, Les Trente Millions de Gladiator, renouant avec une tradition clinquante, proche de l’opéra-bouffe. Sur des adaptations d’airs de compositeurs contemporains de Labiche, la chorégraphie de Léone Mail, permet aux « jeunes Turcs » de la Troupe, Robert Manuel, Robert Hirsch, Jacques Charon, Micheline Boudet, Marie Sabouret, de se livrer à la fantaisie la plus débridée. En revanche, l’année suivante, lorsque Jacques Charon met en scène Un jeune homme pressé, il le monte à l’économie, en finesse, en supprimant les couplets.

 

En 1972, Jean-Laurent Cochet fait coup double, avec un spectacle composé de la Station Champbaudet et de La Fille bien gardée. Délicieux couplets de Françoise Dorin, sur une musique de Guy Bontempelli, et mise en scène au pas de charge, dans les décors à transformation et les joyeux costumes de Jacques Marillier. Cochet récidive à l’Odéon cinq ans plus tard, avec Doit-on le dire  ?, couplets de Jean Marsan sur des musiques arrangées par François Rauber, Jacques Sereys, étourdissant Muserolle, ne recule devant aucun effet, entouré brillamment de Françoise Seigner, Jacques Eyser, Claude Giraud, Guy Michel et Paule Noëlle.

 

 

 

 

 

La morale bourgeoise y est égratignée dans la jubilation. Plus grinçante est la mise en scène établie par Jean-Michel Ribes en 1988 pour La Cagnotte, autre exemple de course-poursuite dans un Paris dévasté par les grands travaux d’Haussman (la scène se passe en 1864). Autour de Catherine Samie, Léonida hyperbolique, s’agitent les petits bourgeois campagnards incarnés jusqu’à la caricature par Jean-Luc Bideau, Yves Gasc, Jean-François Rémi, Philippe Khorsand, le tout sur une musique endiablée de Michel Frantz.

 

Dernière pièce entrée au répertoire de la Comédie-Française, en 1993, sans doute l’une des plus singulières de l’auteur, Le Prix Martin, dans une mise en scène poético-surréaliste de Jiri Menzel, proche de la bande dessinée. Nicolas Silberg (Ferdinand Martin), mari placide, Alain Pralon (Agénor Dugommier), amant blasé, et Simon Eine (Hernandez Martinez), fougueux rastaquouère, vivent avec la belle Loïsa (Dominique Constanza) une intrigue marquée par l’adultère et la vengeance. De Paris aux alpages de la Handeck, de noirs desseins en résolutions vertueuses, les couples se font et se défont pour n’en laisser qu’un seul  : le mari et l’amant, attachés par une indéfectible amitié…

 

Les représentations des pièces de Labiche à la Comédie-Française atteignent le total de 1983, presque au même niveau que Shakespeare dans la liste des auteurs le plus souvent représentés. À chaque nouvelle œuvre qui s’ajoute, on ne peut que conclure avec son ami Alphonse Leveaux (son collaborateur sous le nom de Jolly)  : « Tu as l’insigne honneur d’être l’arrière-cousin, pourquoi ne pas dire l’arrière-neveu, de Molière, et quand tu entres dans sa maison, ce n’est pas un étranger, c’est un membre de la famille qu’on y reçoit. »

 

 

 

Jacqueline Razgonnikoff

Bibliothéquaire à la Comédie-Française, octobre 2004

 


 

 

 

 

 

Thierry de Peretti, mise en scène

En 2001, Thierry de Peretti est lauréat de la Villa Médicis Hors les murs et obtient le prix de la Révélation théâtrale du Syndicat national de la critique.

Au cinéma, il a tourné notamment sous la direction de Patrice Chéreau dans Ceux qui m’aiment prendront le train  ;  de Diane Kurys dans Les Enfants du siècle  ; de Vincent Ravalec dans Une prière vers le ciel  ; d’Orso Miret dans Le Silence.

Au théâtre, il a notamment joué sous la direction de Pierre Vial dans Le Soulier de satin de Claudel  ; de Christiane Cohendy dans Paroles d’acteurs un spectacle autour de Still Life d’Emily Mann et dans Saleté de paix d’Anita Langoff. Il a également joué dans les spectacles qu’il a mis en scène  : L’Heure de lynx de P.O Enquist, Quai Ouest, Sallinger, Le Retour au désert de Bernard-Marie Koltès, Une envie de tuer de Xavier Durringer, Révolution avec chien. Deuxième de Tim Krohn, Valparaiso de Don Delillo, Les Brouillons d’une saison en enfer de Rimbaud, Richard II de Shakespeare. En 2004, il a mis en scène au Théâtre du Vieux-Colombier Gengis parmi les Pygmées de Gregory Motton. Il prépare pour 2005 un spectacle d’après Les Illuminations d’Athur Rimbaud.

 

 

 

 

 

Rudy Sabounghi, décor

Après sa scolarité à Monaco, Rudy Sabounghi obtient en 1981 le Diplôme national d’Expression plastique à Nice.

Sa formation se concrétise à travers deux assistanats importants : La Clémence de Titus, mise en scène de Karl Ernst Hermann en 1982 au Théâtre Royal de la Monnaie  de Bruxelles et L’Illusion, mise en scène de Giorgio Strehler en 1984-85 à l’Odéon Théâtre de l’Europe à Paris.

Dès 1983, il signe ses propres décors et costumes pour le théâtre, l’opéra et la danse, en France et en Europe. Au théâtre et à l’opéra, il collabore essentiellement avec des metteurs en scène tels que Jean-Claude Berutti depuis 1983, Klaus-Michaël Grüber depuis 1986, Jacques Lassalle depuis 1990, Luca Ronconi depuis 1994, Luc Bondy depuis 1997  et Thierry de Peretti depuis 2003. En danse, il travaille avec des chorégraphes tels que Anne-Teresa de Keersmaeker depuis 1992 et Lucinda Childs depuis 2002.

Rudy Sabounghi intervient régulièrement dans les grandes écoles de théâtre  : au Studio Herman Teirliinck (Anvers)  ; à la Hooghschule (Eindhoven)  ; à l’ENSAT  ; à l’Ecole du T.N.S  ; à l’Ecole nationale des arts décoratifs (Nice)  ; au Conservatoire national supérieur de musique de Paris.

 

 

 

 

 

 

Caroline de Vivaise, costumes

Après une licence de lettres et de philosophie, Caroline de Vivaise se destine au métier de costumière qu’elle exerce pour le cinéma, le théâtre, et également pour la télévision  ou pour des films publicitaires.

Elle travaille régulièrement avec Patrice Chéreau au cinéma pour L’Homme blessé en 1982, Hôtel de France en 1987, Ceux qui m’aiment prendront le train en 1997, Intimité  en 2000, Son frère en 2002, Gabrielle en 2004  ; au théâtre, en 1986 pour Quai Ouest de Bernard-Marie Koltès, en 1989 pour Retour au désert de Bernard-Marie Koltès, en 1987 pour Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès  et Platonov de Tchekhov.

Elle a notamment travaillé, au cinéma  : avec André Techiné pour Le Lieu du crime en 1986  ; avec Claude Berri pour Uranus en 1990, Germinal en 1992 (César Meilleur costume 1993)  ; avec Gérard Mordillat pour La Véritable Histoire d’Artaud le Momo en 1993  ; avec Jacques Audiard pour Un héros très discret en 1995  ; avec Benoît Jacquot pour Septième ciel en 1997  ; avec Raoul Ruiz pour Le Temps retrouvé en 1998 ; avec Andrzej Zulawski pour La Fidélité en 1999, avec Peter Bogdanovich pour Cat’s meow et dernièrement avec Danis Tanovic pour L’Enfer – au théâtre  : avec Bruno Bayen pour Qu’une tranche de pain de Fassbinder en 1995, À trois mains de Bruno Bayen en 1998  ; avec John Malkovich pour Hysteria de Ray Jonhson en 2003 – à l’opéra  : avec Arnaud Petit pour Place de la République d’Arnaud Petit en 1991 et Raoul Ruiz pour Médée de Michèle Reverdy en 2003.

Caroline de Vivaise rencontre Thierry de Peretti sur le film de Patrice Chéreau Ceux qui m’aiment prendront le train en 1997. Depuis, elle a créé les costumes de cinq de ses mises en scène : Sallinger de Bernard-Marie Koltès en 1998, Retour au désert de Bernard-Marie Koltès en 2001, Valparaiso de Don Delillo en 2003, Richard II de Shakespeare et Gengis parmi les Pygmées de Gregory Motton en 2004.

 

 

 

 

Jean-Luc Chanonat, lumières

Concepteur d’éclairages, Jean-Luc Chanonat a travaillé au théâtre avec Marcel Maréchal notamment pour Les Enfants du paradis en 1997, Tchin-Tchin en 1998, Lettres d’une mère à son fils en 2000, Ruy Blas de Victor Hugo en 2002, Georges Dandin de Molière en 2004, avec Wissam Arbache notamment pour Le Château de cène de Bernard Noël en 2004, avec Jerzy Klesyk notamment pour Les Possibilités de Barker en 2000, avec Patrice Chéreau notamment pour Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès en 1995, Henri VI et Richard III de Shakespeare en 1998.

Pour Thierry de Peretti, il a conçu les lumières de Sallinger de Bernard-Marie Koltès en 1998, Retour au désert de Bernard-Marie Koltès en 2000, Valparaiso de Don Delillo en 2002, Richard II de Shakespeare et Gengis parmi les Pygmées de Gregory Motton en 2004. Il a également travaillé avec Anne Bourgeois, Jean-Marc Forêt, John Malkovich, Catherine Marnas, Jean-Michel Ribes, Harold Pinter, Luc Bondy, Maria Madau et conçu de nombreux éclairages muséographiques avec le scénographe architecte Richard Peduzzi.

 

 

 

 

 

Sylvain Jacques, musique

Musicien, comédien au théâtre avec Luc Bondy ou au cinéma avec Patrice Chéreau, Sylvain Jacques a suivi une formation à Paris à l’Enseignement Supérieur de Réalisation Audiovisuelle et à New York à N.Y.U, spécialisation chef opérateur. Dernièrement, il a travaillé avec Christina Paulhofer pour Täter de Thomas Yonïg à la Schauspielhaus de Hambourg, Les Malheurs de Claire de Dea Loher au Burgtheater de Vienne, L’Eveil du printemps de Frank Wedekind au Burgtheater de Vienne, Macbeth de Shakespeare à la Schaubühne de Berlin, Phaedra’s love de Sarah Kane à la Schaubühne de Berlin, Sallinger de Bernard-Marie Koltès à la Kammerspieler de Munich  ; avec Michèle Fouchet pour Avant/après de Roland Schimmelpfennig au Théâtre de la Colline.

Avec Thierry de Peretti, il a travaillé pour Valparaiso de Don  Delillo au Théâtre de la Bastille, Les Brouillons d’une saison en enfer d’Arthur Rimbaud à la Comédie de Reims, Richard II de Shakespeare, sous le nom de « the ensemble » en collaboration avec Nicolas Baby,  au Théâtre de la Ville, Gengis parmi les Pygmées de Gregory Motton au Théâtre du Vieux-Colombier.

 

 

 

 

David Bersanetti, vidéo

Formé à l’Ecole des Beaux-Arts du Mans, David Bersanetti est concepteur de décors et d’installations  vidéos. Il a participé à des expositions d’art contemporain dont « Darshan Express », installations multimédias en Inde en 1997, « Ciseaux-Oiseaux », installation à la Chapelle St Eman à Chartres en 1998. En 1999, il était artiste résident à la Cité internationale des Arts de Paris. Depuis 1998, il travaille comme directeur artistique sur des films publicitaires et des clips vidéos.

Au théâtre, il a créé des scénographies incluant de la vidéo  dans les mises en scène  de François Orsoni pour Who is me de Pasolini à la Ménagerie de Verre en 2000, Woyzeck de Buchner en Corse en 2002, L’Etreinte de Pirandello  à Bastia en 2003, dans celles de Kristina Paulhofer pour Macbeth de Shakespeare à la Schaubühne de Berlin en 2002 et dans celles de Thierry de Peretti pour Retour au désert de Bernard-Marie Koltès  en 2000 et Valparaiso de Don Delillo  en 2002 au Théâtre de la Bastille, Richard II de Shakespeare au Théâtre de la Ville et Gengis parmi les Pygmées de Gregory Motton au Théâtre du Vieux-Colombier en 2004.

 

 

 



[1] La censure écrit à propos de La Sensitive de Labiche (son sujet est le bégaiement d'un mari) : « Nous ne pouvons admettre que l'attention d'un public soit attirée et concentrée pendant trois actes sur un pareil sujet, la question de la virilité d'un mari, la consommation physique du mariage » rapport du 11 janvier 1860 in La censure sous Napoléon III, anonyme, Paris, Nouvelle Librairie Parisienne, Albert Savine.

[2] Dr Alexandre Mayer, Des rapports conjugaux considérés sous le triple point de vue de la population, de la santé et de la morale publique, Paris, J-B. Baillière, 1857.

[3] L’Histoire de la Conquête d'Alger, Alfred Nettement, Num. BNF de l'éd. de Paris ; Lyon : J. Lecoffre, 1867.

[4] grève générale des chefs d'atelier de soierie du 20 novembre 1831, appelée la révolte des Canuts.

[5] suite à l'émeute populaire partie de Lyon, manifestation organisée par la Société des Droits de L'Homme et le conseil exécutif des sociétés ouvrières de secours mutuel.

[6] P. Mayer cité par Schoelcher Victor, Histoire des crimes du 2 décembre, éd. de Bruxelles 1852.

[7] Colonel Denoue, cité par idem.

[8] Romieu, le spectre rouge de 1852, Paris, Le Doyen, 1851.

[9] La représentation du Mystère de la rue Rousselet a lieu en mai 1861 au Théâtre du Vaudeville, boulevard des capucines.

10 Jules Ferry, Chambre des Députés, débats du 29 juillet 1885, JO, p. 1666 sq.

 

 

[11] Deleuze, Joseph Philippe François (1753-1835), bibliothécaire du Muséum d'Histoire Naturelle, Histoire critique du Magnétisme Animal , a éds, Paris, 1813 et 1819 (p. 175).

[12] 1755-1819, prêtre portugais, se disant brahmane venu des Indes.

[13] De la cause du sommeil lucide ou Etude de la nature de l'homme par l'abbé Faria ; préf. et introd. par le Dr. D. G. Dalgado, éd. De Paris : H. Jouve, 1906 (p 190).

[14] ibid, séances IX, X et XI.

[15] Les rêves et les moyens de les diriger d'Hervey de Saint-Denys, Oniros, Ile Saint-Denis, 1995.

[16] Freud cite Hervey de Saint-Denys dans L’Interprétation des rêves, Presses Universitaires de France, Paris, 1980 (chap.1).

[17] Le Surréalisme et le rêve, coll. Connaissance de l'Inconscient, Gallimard, 1974 ( page 36).