theorema presente:

 

Moi-miettes de Marie de Beaumont

mise en scène Olivier Schneider

avec Christèle Tual

Critique Presse : Revue La Terrasse, le 09/11/08 :

Moi-Miettes

L’actrice singulière Christèle Tual accomplit une performance scénique enjouée en portant sur le plateau d’Olivier Schneider le verbe insolite, provocateur et cru de Marie de Beaumont.
Toute vérité n’est pas bonne à dire, mais l’auteure de théâtre Marie de Beaumont n’a que faire de ce dicton, elle éprouve un malin plaisir à troubler le spectateur en cassant les cadres rigides et convenus de la bienséance. L’héroïne de Moi-Miettes, monologue d’exposition d’un mal-être féminin, raconte tout haut ce qu’il convient de dire tout bas en société. Le bébé hurleur des voisins vagit bruyamment, la jeune femme  aurait préféré qu’il ne naisse jamais, rêvant même de l’embrocher ! Et « N’étant pas jeune mère, n’étant pas mère du tout… » , la plaignante ne peut pas faire autorité ; la douleur de ce vide maternel infligé l’accable en tant que femme. Elle rédige à sa table une lettre violente à la mère de ce chaos sonore : son mari la trompe allègrement grâce à ses bons soins écoeurés de voisine consentante. Dans cet immeuble sans âme, à part ce couple et elle-même sans vie sexuelle ni emploi, il n’y a que des chats et des chiens. La célibataire endurcie a eu un chien, qu’elle a lancé sur un pervers. Les conséquences de cette attaque programmée en forme de défense ont été plus cruelles que prévues… Il  a fallu piquer la bête.
Une multiplicité de pulsions anarchiques qui lui ôtent le bonheur
Passant d’un sujet à l’autre, la rebelle déclarée se fixe sur Berlin, elle s’identifie à cette ville sans concept et faussement branchée, « des morceaux sans lien comme moi… des quartiers qui ne s’aiment pas dans un flux de bière ». Une ville encore qui symbolise la fête de l’homme, la parfaite union de la bière et du mâle !  La narratrice ne lit plus les journaux, ne regarde plus la TV, n’écoute plus la radio. Elle n’a rien mais elle existe, c’est ce qu’elle voit dans son miroir de reine ( Blanche-Neige), le seul qu’elle ait conservé dans l’isolement de son appartement. L’écriture dans la mise en valeur narquoise de cette anti-héroïne pourrait illustrer Utopie et Désenchantement de Claudio Magris : « L’individu sent une blessure profonde, qui rend difficile pour lui de réaliser pleinement sa personnalité en accord avec l’évolution de la société et lui fait sentir l’absence de la vraie vie ». Moi-Miettes est cette poupée désarticulée, cassée en mille morceaux, faite d’une multiplicité de pulsions anarchiques qui lui ôtent le bonheur d’être. Le metteur en scène Olivier Schneider a senti au plus près l’intensité de ces émois libertaires, à l’écoute de la parole de l’auteur comme du corps féminin en souffrance et des prouesses physiques de la comédienne Christèle Tual, longue silhouette gracile en mal de reconnaissance dont le talent scénique radieux scintille.

Véronique Hotte

 

Une création du Théâtre Gérard Philippe de Saint Cyr (78), direction Silvio Pacitto

avec le soutien des Conseils Généraux des Yvelines et de Seine et Marne

 

 

C'est pas moi. C'est elle. Et elle est pas folle.  De toutes façons, c'est la faute des autres. Elle est seule. Toute seule. Peut-être pas assez. Il y a encore les autres. Ca la fait pas vraiment rire, ça lui fait plutôt mal, et c'est peut-être pour ça que c'est drôle. 

son: Vincent Mouquet

lumières: Frédéric Arondel

assistant scénographie, lumières: AURÉLIEN MERLET-POCHARD

extraits sonores de Sirchst / Johann grandin / Jean-Carl Feldis

Une femme. Une femme qui ne se définit pas par elle-même, mais par son rapport aux autres. Elle se replie sur elle-même, peut-être chez elle, c'est à dire environnée des autres et de la vie des autres, bloquée. Et elle ne se retient pas de dire ce qui lui passe par la tête, même si cela dépasse les limites du raisonnable. Elle est là. Dans ce lieu, peut-être nulle part. A un instant présent, car le passé ou l'avenir n'ont plus de raison d'être, elle parle, elle oublie, elle répond. Cela fait des allers-retours, des sursauts, cela passe par des fêlures, par un retour à l'enfance.

Dans ce second texte, incisif, grinçant, et souvent drôle, Marie de Beaumont n'a ni compassion ni condamnation pour cette femme: elle la regarde simplement, et place, par le jeu d'un personnage qui s'invente et disparaît, les spectateurs comme sous le jeu de ce même regard. Un personnage que Christèle Tual interprète avec une justesse vibrante et un humour toujours juste et maîtrisé.

 

Extraits du texte :

«Soyez sure, Madame, que je suis touchée que votre choix se soit porté sur moi mais bien que chômeuse longue durée, je n'ai pas de temps à perdre à des occupations sous-qualifiées tel que le baby-sitting. Je ne suis d'ailleurs pas certaine d'avoir les qualifications requises. Il me semble après réflexion normale que vous ayez envie de contrôler la vie sexuelle de votre mari. »

«Je suis pas méchante, je suis juste fatiguée, fatiguée. C'est plus moi qui parle c'est l'inconscient. Ou l'autre le subconscient. Je sais plus. A ce stade de fatigue tout se brouille. Tout. C'est pas de la colère c'est juste de la fatigue. J'ai aucune raison d'être en colère. Ou alors c'est peut-être mon vrai moi. C'est peut-être ça moi. Un truc amoral, pour lequel la vie et la mort n'ont aucune valeur à côté du sommeil.»

«Un escalier pour attendre et un escalier pour les vœux aussi. Comme avant. Comme les enfants, comme moi enfant. Si je saute de la troisième marche sans me faire mal, il n'y aura pas d'école pendant 3 jours. Si je saute de la sixième marche sans me faire mal, demain je suis adulte. Un escalier magique qui choisit, un escalier devin pour attendre. Les genoux sous le menton, les genoux dans les bras, assise au bord des fesses sur une marche les pieds sur celle d'en dessous attendre que le téléphone sonne. Attendre la sonnerie du téléphone ou le moment de téléphoner. Et téléphoner assise sur l'escalier. Changer de marche déplier les jambes, monter descendre en parlant, se réfugier sous l'escalier dans le recoin noir là pour écouter.»

«Moi, moi au centre. Moi seule et un espace vide autour. Un désert de vide juste moi et pourtant on me voit pas. Moi seule dans cet espace vide et eux tous tassés là qui ne me voient pas. Qui n'ont rien d'autres à faire que me regarder et qui ne me voient pas.»

Christèle Tual

Issue du Théâtre National de Strasbourg, elle a joué sous la direction de Joel  Jouanneau (les Amantes, Rimmel, Lève toi et Marche),
Ludovic Lagarde (Oui dit le Très Jeune Homme de Gertrude Stein, Richard III de Peter Verhelst), Philippe Berling, Jean-Marie Villégier, Anton Kouznetsov, Elisabeth Chailloux,...
et au cinéma dans N'ayez pas Peur premier film de Judith Godrèche, L'âge des Possibles de Pascal Ferran, Retomber Amoureuse de Pierre Tridivic, Innocente de Karin Albouuve,
Parlez-moi d’Amour de Sophie Marceau, A Cran d’Alain Tasma,...


La mise en scène

"Retrouver l'écriture de Marie, après Choses Tendres, l'Annulation, Métro, c'est se redonner l'envie de rire et d'observer.

Plus que des textes de théâtre ses écrits s'amusent, jusqu'à que la vie, la parole nous y surprenne et nous rendent à nous-mêmes."

"Travailler sur un monologue, c'est selon moi, envisager d'abord l’ensemble des perceptions extérieures. On parle seul parce qu'on ne se sent pas seul, parce que l’autre, les autres, sont partout présents. Je tiens à ce que le ton, l’humour porte le public à rire et à s’approprier une histoire et des mots qui concernent chacun, que chacun peut partager. Le corps parle, il se lève, se tend, se recroqueville, déjoue les frontières, vibre et danse. Il cherche dans Moi-Miettes une place qu'il ne peut trouver, et tantôt se libère, tantôt se tait".
Olivier Schneider.

Olivier Schneider a mis en scène Chinoock (théâtre Equestre),  Verdi, Sophie Calle ou Molière,  Daniil Harms ou Karl Valentin,

 dramaturge au Vieux Colombier , complice de Thierry de Peretti, Jean Boillot, des Néo Vent, du Praxis Lab Theatre (Irl),...

 

La scénographie

Un carré blanc au sol, pour définir des frontières que l’on dépasse malgré soi. Une chaise pour échapper à l'apesanteur, pour se lever, pour la quitter. Des blocs noirs dans l'espace du plateau pour disparaître, pour ne montrer que des parties du corps. Aucun lieu n'est définit, des contraintes pour s'en échapper, des exceptions et des failles pour en jouer.